Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail
Léonard de Vinci
Que dire qui n’a pas encore été dit sur la Bohen Mille Mer ? Que c’est une dress watch élégante et légère … certes.
Alors faisons directement un résumé de ce que vous avez peut-être lu dans les articles des testeurs précédents :
- C’est une vraie plongeuse avec tous les codes techniques qui vont avec cet objectif.
- C’est une montre épaisse mais pas désagréable à porter
- Les finitions de la boite, du cadran ou des aiguilles sont tout simplement excellentes, n’ayons pas peur des mots c’est du niveau de Rolex (il y a l’espace commentaires pour me lancer des cailloux si le coeur vous en dit)
- Le mouvement est un Soprod M100, et c’est un très bon choix (je développerai plus tard)
- Le bracelet est étonnant mais très malin et agréable à porter
Ceci étant dit, voilà pourquoi j’ai reçu un exemplaire de la Mille Mer … On m’a demandé s’il était possible de faire une revue « technique » : OK c’est une belle montre, mais est ce qu’elle tient ses promesses techniques en terme de solidité, de fiabilité … En somme de faire ce que j’ai fait pendant des années : torturer des montres avec des tests de laboratoire.
Lunette tournante, oui mais combien de temps ?
Dans les impératifs techniques d’une plongeuse il y a la lunette tournante : elle doit tourner uniquement en sens anti-horaire, pour ne pas permettre une rotation accidentelle lors d’un frottement qui pourrait donner une indication fausse de l’autonomie restante des réserves d’oxygène.
En effet on a coutume au départ de la plongée de positionner l’index 0 (qui doit être lumineux et lisible plus de 60 minutes dans le noir) en face de l’aiguille des minutes. De cette manière les minutes graduées sur la lunette tournante indiquent la durée de plongée. Une lunette unidirectionnelle en sens anti-horaire interdit donc de décaler « en avant » l’index 0.
En terme de positionnement, les lunettes sont généralement crantées à 60 ou 120 clics (un cran correspond donc à une minute ou a 30 secondes pour les plus précises). Ce crantage doit être franc et ne pas devenir trop mou avec le temps. Il ne doit jamais permettre la rotation dans le mauvais sens.
Pour la validation on procède à un HAST (Highly Accelerated Stress Test, ou Test de Vieillissement Accéléré mais ca fait TVA …) en faisant tourner la lunette rapidement pour atteindre un nombre de « clics » donné.
Faisons une estimation logique du porté : L’utilisateur fait une plongée par jour et – comble de malchance – à chaque plongée il doit tourner de 59 crans en arrière pour placer l’index 0 sur l’aiguille des minutes.
On obtient 365 jours x 59 crans = 21535 crans par an. Pour 5 ans de fonctionnement régulier on a 107676 clics (j’ai compté une année bissextile dans le lot).
On est d’accord c’est un calcul au pire, il est absolument impossible de devoir tourner de 59 crans en arrière à chaque plongée. Avec un peu de marge considérons donc 108000 clics pour tester la fonction.
Si au terme de 108000 clics la lunette n’a pas perdu de crantage et que la force des clics n’a pas varié de plus de 20% (on ne ressent pas les variations inférieures) on considère le test comme réussi.
Petit détail, on ne va pas s’user les mains à faire 108000 clics (1800 tours de lunette), on va plutôt utiliser un moteur. En faisant tourner à 300 tours minutes on aura besoin de 6 minutes de rotation pour faire le nombre de clics exact. Ca fait 50 clics par seconde !
En quoi le test est-il représentatif ? Et bien il est pire que tout ce qui peut se passer dans la vraie vie : si je vous demande de faire 400 kilomètres à pied en une année, à raison d’un peu plus d’un kilomètre par jour vous allez y arriver sans trop de soucis, si je vous demande de le faire en une seule fois, il y a fort à parier que vous allez avoir des ampoules au pieds, des chaussures trouées, et peut être bien des rotules bien usées. C’est le but d’un HAST : on veut déceler les points faibles : si quelque chose casse c’est l’élément faible du système, si rien ne casse c’est que le système est robuste.
C’est donc parti pour une petite session de tournage rapide : j’enrobe la lunette avec du scotch caoutchouté, je monte un plateau à 6 mors concaves sur le tour et je lance la bête.
A la fin du temps réglementaire on procède aux vérifications : les crans n’ont pas perdu de leur rigueur, ils fonctionnent tous, la lunette n’a pas pris de jeu et ne peut toujours pas tourner à l’envers … c’est parfait. Elle vient d’encaisser en quelques minutes l’équivalent de 5 ans de plongée quotidienne.
Elle est lourde, gare aux chocs !
Parmi les tests normalisés, il y a le NIHS 91-10, plus communément appelé « 5000 G » puisqu’il consiste en une chute de 1 mètre de haut sur un sol en bois dur, et que l’accélération subie à l’impact est de (selon calcul) 5000 G. C’est à dire que la montre subit des contraintes égales à 5000x son propre poids au moment du choc.
Pour plus d’informations sur les chocs et leurs effets dans la montre, je vous renvoie aux illustres travaux de Yvan Teres dans le cadre des recherches éponymes de l’Association Suisse de Recherche Horlogère (ASRH).
Pour notre BOHEN, avec son poids de golgoth, on s’attend à une énergie cinétique à l’impact plutôt élevée, et donc un risque non négligeable de casses diverses. Petit détail, Blaise Giuliani m’a demandé de ne pas abimer la montre …
Pour éviter les marques sur la boite, je monte donc la montre dans un container en plastique (Vulkolan). Le premier effet est que le choc sera légèrement amorti, mais le poids s’en retrouve augmenté du poids du container, donc globalement on ne change pas l’effet que la montre va devoir supporter.
Avant de procéder au choc on vérifie toutes les fonctions : remontage, mise à l’heure, correction de la date, lunette tournante, remontage automatique. Puis vient le moment redouté des chutes. Ah oui j’ai oublié de préciser, on effectue une chute sur chacun des axes X, Y et Z !
Pas de suspens, les chocs sont violents. Tellement violents que la montre rebondit sur l’impacteur en hêtre ! Pourtant après une série de 6 chocs, tout est absolument parfait. Rien n’a bougé, la marche est toujours impeccables et les fonctions se font.
Pas de grosse surprise cependant : le mouvement Sopord est d’ores et déjà qualifié par le test Chronofiable, bien plus cruel que le simple NIHS 91-10, donc le seul paramètre qui aurait pu faire varier le résultat est le poids de la montre complète, mais il n’en est rien. Même la loupe de quantième, en lévitation au dessus du cadran a tenu et son support n’a pas bronché, pourtant c’est la première pièce que je m’attendais à retrouver se baladant au milieu du cadran.
Verdict technique
Aucun point noir dans les quelques tests violents, la Mille Mer tient un niveau vraiment comparable aux standards des manufactures horlogères les plus strictes. La comparaison avec une Rolex DeepSea est absolument pertinente, tant dans la qualité d’execution esthétique que dans la robustesse technique. J’avoue être agréablement surpris par l’ensemble et je dois dire que pour le prix demandé, c’est probablement une des meilleures affaire que vous puissiez faire en 2022 en terme de rapport qualité / prix. Reste à voir si elle sera encore disponible longtemps et ca, aucun test de laboratoire ne peut le dire.
Ce que j’ai trouvé particulièrement réussi
Si vous lisez encore ces lignes, je vais tout de même faire une petite liste des choses qui m’ont particulièrement plu sur cette BOHEN.
Le bracelet à maillons espacés : c’est étrange mais très bien exécuté, avec des finitions flatteuses.
Bracelet à maillons espacés d’une Mille Mer
La boite hexagonale avec sa couronne à 12h : les amateurs de Triton Spirotechnique ou de ZRC grands fonds connaissent déjà le confort (et la parfaite ambidextrie) de cette architecture.
Mille Mer au poignet avec sa couronne à 12H
Le système de changement rapide du bracelet : il est solide, facile à manipuler et permettra de changer pour un bracelet tiers facilement (un rubber, ou même un cuir de qualité nautique, voire même un bracelet en voile de bateau de chez Avel & Men s’il faut rester dans le thème)
Pour ouvrir il suffit de tirer C’est maniable et robuste
La boucle réglable : c’est un confort absolu de pouvoir facilement ajuster de quelques millimètres votre bracelet et le système de la BOHEN Mille Mer est vraiment simple et agréable.
La boucle ouverte au maximum … … ou au minimum
La loupe de quantième en lévitation par dessus le guichet : c’est plus spectaculaire que fonctionnel, mais ca évite le cyclope sur la glace et ça c’est top !
La loupe dans son support, par dessus le cadran.
Face à face (relativement incohérent mais pas tant)
Tout au long de ce test j’ai voulu comparer la BOHEN à quelque chose d’autre seulement voilà … je n’ai pas de DeepSea à disposition. Du coup j’ai choisi ce que j’avais de plus proche en terme de porté : une Prospex Spring Drive GMT (SNR033) qui pour tous les autres aspects est peu comparable.
- Mouvement traditionnel VS mouvement Spring Drive (à remontage automatique pour les deux)
- Plongeuse 1000 m VS 100 m
- Lunette de plongée VS lunette GMT
- 2000 € VS 5000 €
Pourtant ne serait-ce que pour comparer la finition en regard du prix, et le confort au porté de pièces plutôt épaisses, la comparaison avait sa raison d’être. Les quelques images suivantes vous donneront un aperçu des deux produits.
Nuances de satinage Polissage des flancs Finitions des index pliés Le spectaculaire porte loupe Cadran et guichet traditionnels Comparaison au bras
Alors loin de moi l’idée de vouloir poser sur une balance 2 produits tellement différents, mais ce que je peux constater c’est qu’en achetant le monstre technologique qu’est la SNR033 (5000 € ou plus rappelons le) on a une terminaison esthétique qui est très honnête : Seiko est reconnu pour apporter un soin particulier, notamment sur les cadrans et les polissages de boite.
Et à ce jeu là il faut admettre que la BOHEN Mille Mer n’a pas à trembler. Pour un prix plus de 2x moindre elle a l’audace d’offrir des détails de terminaison équivalents si ce n’est meilleurs ! Un simple coup d’oeil sur les index pliés permet de s’en convaincre et le porte-loupe clôt le débat esthétique à lui seul.
Splendide et indestructible, voilà ma conclusion en 2 mots !